Sauveplane

TRANCHE DE VIE DANS UN ANCIEN HAMEAU DE SAINT MARTIN

Sauveplane se situe dans la vallée de la Salandre sur le versant opposé au village de Mandajors.
Dans les années 1920, quatre familles habitaient ce hameau :
La famille Sylvain, Paul, Élise et leurs trois enfants qui vivait de l’agriculture et d’un petit débit de boisson.
La famille Canonge Numa et Sidonie et leurs deux enfants Fernande et Paul.
Madame veuve Célina Chantegreil,
La famille Soustelle, les grands-parents monsieur et madame Ferdinand Soustelle, leur fils Edouard et sa femme Milca, ainsi que leurs cinq filles : Filia, Eva, Yvonne, Suzanne et Alice.

Rencontre avec Madame Yvonne ISSARTE, née Soustelle en 1919 à Sauveplane.

L’IMPLANTATION A SAUVEPLANE

Mon grand-père, Ferdinand, était né à Couchous (en face Valentin dans la haute vallée du Galeizon), ensuite il s’était établi à la Clastre sur la commune de Lamelouze avant de s’installer au Conte, petite exploitation située également dans le ruisseau de Sauveplane.

En 1890, mon grand-père abandonne cette maison, tombée depuis en désuétude, pour acheter le café restaurant de Sauveplane : une immense salle commune au sol de « bars » , chauffée par une grande cheminée qui occupait tout le fond de la pièce. Jouxtant cette pièce, une salle de café « modernisée » par un sol cimenté.
Un cellier creusé dans le rocher permettait de conserver dans de grands placards des réserves de châtaignes et de charcuteries. La maison comportait également 3 chambres. Notre famille n’a jamais exploité le commerce. Comme les autres habitants du hameau, elle vivait de l’agriculture sur cette propriété de 80 hectares.
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L’EXPLOITATION FAMILIALE

Nous vivions de multiples activités : il y avait la récolte des châtaignes, l’élevage de cochons, d’un troupeau de moutons et de chèvres, la production de vin, la production de miel. Une basse-cour nous alimentait en oeufs frais.

Étant donné l’absence de voies de communication, la récolte des châtaignes était totalement transformée sur place. Deux clèdes étaient consacrées à la confection de « croubéludes » (châtaignes séchées non décortiquées) pour l’alimentation des cochons.
Une clède fournissant environ 25 « saommandes » (unité de mesure d’une clédade équivalente à la charge d’une bête de somme, environ 130 litres) permettait de fournir les blanchettes.
Les « brises » (blanchettes brisées lors du décorticage) étant réservées à l’alimentation des agneaux.
La famille élevait 4 cochons par an.
Le petit était tué en Septembre-Octobre pour permettre la confection de charcutailles à consommer dans les châtaigneraies lors de la cueillette des fruits, et aussi parce que l’étable était trop petite pour quatre gros cochons.
Les trois autres étaient abattus et transformés courant Janvier.
Le 9 Mars 1933 il était tombé un mètre de neige, heureusement les cochons avaient été tués, leurs poids respectifs étaient 274, 295 et 315 kg. Le petit tué en Octobre avait fait 224kg.
Concernant le miel on disposait de quarante à cinquante ruches confectionnées dans des troncs creux de châtaignier recouverts d’une grande lauze. Ce rucher était disposé sur les murailles au Conte et à Sauveplane.
Je me souviens d’une cueillette de miel ou je m’étais gavée d’une « bresque » de miel et j’avais été malade toute la nuit. A cette époque, les essaims ne souffraient d’aucune maladie.
Le troupeau d’une vingtaine de chèvres permettait la production de lait pour la famille et aussi la production de pélardons dont une partie était cédée aux négociants locaux de Saint Paul la Coste et de la Roque.

Le troupeau d’une soixantaine de moutons permettait la production d’agneaux de boucherie.
Pour la production de vin nous disposions de très nombreuses treilles sur les bancels de Sauveplane. La récolte moyenne de la famille était de 40 à 50 hectolitres par an.
Les proches voisins étaient les meilleurs clients!

Pour l’alimentation des troupeaux mon père plantait de grands champs de raves. Malgré cela la nourriture des troupeaux en hiver n’était pas suffisante, aussi le père partait dés le réveil pour confectionner sur la montagne d’en face des fagots d’arbousiers, cade et chêne vert.
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L’ECOLE

L’école était au Mazuc. (Le Mazuc est situé dans la vallée de la Salandre entre Sauveplane et le Tuheys) Cette école était distante d’environ 3 kilomètres de la maison. Le sentier y conduisant serpente dans la montagne. II n’était pas concevable de revenir manger à la maison le midi, aussi nous devions emporter notre casse croûte.
L’école était équipée d’une cheminée et à midi tous les élèves faisaient réchauffer leur gamelle de soupe.
Par beau temps, nous allions prés de la source de M Lapierre et nous faisions cuire, en pleine nature, oeufs ou omelettes à la poêle.
Nous étions chaussés de sabots pour aller à l’école comme pour les autres activités (une paire de chaussures noires était réservée aux jours de fête..)
Les jours de pluie, nous nous abritions comme nous pouvions, nous n’avions pas d’imperméable, pas de parapluie, nous nous protégions avec des sacs de jute l’un sur la tête et l’autre serré à la taille.
Je me souviens plus particulièrement de ce 9 Mars (en 1933 ou 34) , ce jour-là, il était tombé un mètre de neige!
L’école comptait une vingtaine d’élèves, provenant des hameaux environnants: Le Pereyret, Le Mercon, Le Tueil, Les Cabasses, Espinassounel, Gasques…, deux d’entre eux venaient de Saint Martin : Fernand Dumas et Raymond GIBERT … Saint Martin à pied bien sûr!
A cette époque le maître de Saint Martin ne faisait pas l’unanimité des parents et le maître du Mazuc, M Pluton qui habitait l’école, était fort apprécié.
A quatorze ans nous allions au Collet de Deze passer le Certificat d’études.
L’école du Mazuc a fermé en 1937 il ne restait plus que quatre élèves: Suzanne et Yvonne Soustelle, Léo Silvain et Hélene du Pereyret.
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AIDES ET REVENUS

II n’y avait aucune aide, pas d’allocation familiale, pas de bourse pour les études, pas de retraites pour les anciens, seuls les blessés de la première guerre mondiale touchaient une petite pension.
Nos revenus provenaient de la vente des blanchettes, des porcs, du miel, des pélardons, des agneaux et du vin.
Mon père transportait notre production sur son dos vers Mandajors ou vers la Roque où monsieur Deleuze faisait le négoce de fruits et légumes. Environ chaque mois, il touchait le produit de ses marchandises, tout en n’oubliant pas de laisser une petite pièce dans la tirelire de Solange et Michel, les enfants de monsieur Deleuze.
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LES DIVERTISSEMENTS

Nous allions à la fête de saint Martin et de Saint Paul à pied bien sur. On soupait sous les châtaigniers puis on rentrait à la maison.
Les protestants organisaient des ventes (petites kermesses) à La Roque, au Lunés, au Castandel où la plupart des habitants des quartiers se retrouvaient.
Une fois par an, nous allions au culte au Pereyret. Après le culte nous mangions dans la nature. Ensuite M Clauzel jouait de l’accordéon et nous dansions dans les prés.

LES SERVICES POSTAUX

Le facteur passait à la maison quand nous recevions du courrier, c’était le lien avec le reste de la commune, il nous apportait les nouvelles, il participait éventuellement à une aide exceptionnelle.
Je me souviens d’un facteur qui lors de sa tournée avait participé à l’abattage du cochon à Clé de Fer et après avoir un peu trop arrosé cet évènement, n’avait pas pu assurer le reste de sa tournée. Au passage d’un gué il tomba dans le ruisseau et le courrier fut malheureusement perdu.
Une boite à lettre était relevée chaque jour au Mazuc.
La tournée du préposé commençait au Mazetet puis Prades, Clé de Fer, les Cabasses, Espinnassounels, Le Mercon, Le Mazuc, Sauveplane, Le Conte, Les Parques, La Roque, Le Perier haut et enfin se terminait à Saint Martin.
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LES SERVICES DE SANTE

Les familles étaient pauvres, le docteur n’était appelé que dans les cas sévères. C’était un docteur d’Alès, M Fontaine, qui venait à Sauveplane. II montait jusqu’à la Moline ( prés de Mandajors) à vélo puis il faisait le reste de la route à pied(3 à 4 km)
En 1929, toute notre famille, sauf ma soeur Filia, a contracté la fièvre de malte. A cette époque la plupart des chèvres étaient contaminées par cette maladie. Et pour les soigner on leur donnait une boisson blanche.
Alors un jour mon père a décidé : si ça soigne les chèvres, ça doit nous soigner. II dilua dans une bouteille d’eau une fiole de cette boisson blanche et toute la famille en prit. Et effectivement le résultat fut positif, tous les malades furent guéris. Je pense à ma soeur qui dut assurer toute seule le travail de la ferme durant cette période….

LES VOIES DE CIRCULATION

YI : Les charrettes circulaient jusqu’à l’Espinassounel, le Peyreret, presque jusqu’au Mercon. Sauveplane était joignable par des chemins de mulets à partir de La Roque, Casques ou Mandajors.
Nos productions commercialisables étaient acheminées à dos d’homme jusqu’à Mandajors.
Lorsque nous avons quitté Sauveplane en 1937 pour aller nous établir aux Molières le déménagement s’est réalisé à dos d’homme. Aussi beaucoup de meubles sont restés sur place!
Les barriques de 500 litres avaient été vendues au Pereyret.

L’HABILLEMENT POUR LA FAMILLE

Lors de la saison d’hiver lorsque la neige recouvrait le massif central, M Caillon, un marchand ambulant qui venait du Cantal, prenait pension à Saint Martin chez les Billanges. De là, il partait à pied avec un baluchon sur le dos et il passait dans tous les hameaux. Il montrait les échantillons, les familles passaient les commandes. Ensuite il revenait plus tard pour livrer les objets commandés.
Je me souviens d’une anecdote que nous racontait M Caillon :
Un jour au lever, il se rend à l’étable des chèvres de l’hébergeur et s’aperçoit qu’un chevreau est plus qu’agonisant. Il avertit la patronne Mme Billanges. Aussitôt celle ci va constater les faits et indique à son mari Coligny, en patois bien sûr: Il est mort mais il n’est pas encore froid, alors on peut le profiter, va le dépecer !
Et le même soir, à son retour de tournée, pour le dîner, M Caillon se voit offrir exceptionnellement un gros plat de viande en sauce. Se doutant de l’origine de celle ci, il prétexta la fatigue de la journée pour manger léger et éviter de goûter au chevreau crevé.
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QUITTER SAUVEPLANE

En 1937 nous étions la dernière famille à Sauveplane. Usé par le travail, mon père souffrait aux articulations des jambes, les filles voulaient vivre autrement, aussi mes parents ont fait le choix de vendre la propriété pour venir habiter aux Molières et continuer une exploitation agricole de moindre envergure.

REMARQUES

Mariée à Roger ISSARTE, ouvrier boulanger de M Gabriac de la Rivière, le couple habitait dans une modeste demeure de ce village très hostile à l’occupation nazie.
Le village abritait des résistants et des juifs persécutés. Le samedi 5 juin 1944 alors que les combats de la Rivière débutent, Yvonne croit se sauver par le Gardon avec ses deux enfants, elle tombe alors nez à nez avec les allemands.
Rebroussant chemin dare-dare elle échappe aux tirs allemands.
Après une accalmie elle repart avec ses deux enfants et deux dames juives, les Ancelins, et toute cette équipe vint trouver refuge chez les Issarte aux Vernédes sur la commune de Saint Martin de Boubaux.
Le 6 Juin 1944 toutes les maisons de la Rivière sont incendiées sauf deux: celle d’un nommé Lamotte (ancien curé) et celle de la famille d’origine alsacienne qui a trahi la population et que l’on ne revit jamais.
La famille d’Yvonne et Roger comme la plupart des familles de la Rivière perdirent tous leurs biens matériels ce jour là.

 

Entretien mené par Bernard Verdelhan
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